À propos des débuts de l'association
L’association est née d’une envie créatrice de ses fondateurs avec le désir aussi de faire paraître une revue. Elle s’est constituée sous la forme d’une association, sous le régime de la loi de 1901, en 1983 avec comme but général la diffusion de l’Art. Les Editions de Soledade ont d’abord participé au spectacle Danseurs ‘Tous en Seine’ d’Odile Azagury, en offrant à chaque Spectateurs, une feuille bleue recto-verso où était recueillie une phrase proposée par chacune des 42 compagnies de danse participantes, soit près de 400 danseurs, chorégraphes, artistes au programme. Une péniche avec les spectateurs proposait le long de la seine les spectacles à mesure qu’elle arrivait à leur hauteur.
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Plus tard les Editions de Soledade sortirent quelques numéros d’une revue de littérature et art, comme elle était sous-titrée, intitulée L’ouverture de la Chasse . L’on y chassait une certaine forme d’intellectuels et non pas nos amis à poils et à plumes bien sûr. N’y écrivaient que des amis. Composée d’un bric à brac poétique, littéraire, fait de nouvelles, de photos, de dessins et gravures aussi. Ses textes n’avaient de commun que d’être reliés par nous ses éditeurs. Un incendie ravagea complètement le siège social de l’association et, de découragement, celle-ci mis en veille ses activités.
Renaissance donc, en 2013, des Editions de Soledade qui se propose d’éditer irrégulièrement des livres
Les livres publiés

Dessin: © Framboise, Paris XXème
Frédérick de Thierry Clair-Victor
Parution en 2013 du roman Frédérick de Thierry Clair-Victor.
Le livre.
Un roman d’adolescence et d’initiation, dans lequel nous découvrons la vie de Frédérick, un jeune homme solitaire et sensible. Il grandit, orphelin, sous la tutelle de Louis, un ami presque. Il découvre l’amitié et l’amour dans ces années où l’on se perdait facilement, où le prix de la vie n’était pas absolu. Où les mots remplaçaient l’humanisme, sous la couleur de la solitude, toujours.
L’auteur.
Thierry Clair-Victor est né en 1960 à Enghien-les-Bains. Il passe un bac technique puis fait une année de philosophie à Paris X. Il quitte la fac pour un emploi dont il est maintenant retraité. En 1986 il obtient une licence d’Arts-plastiques à l’université de Vincennes à Saint-Denis. En 1999 il réussit une licence de lettres Modernes à la même université. Début 2000, il commence une émission littéraire « Des mots, une voix », qui dure toujours, sur Radio Libertaire. En 2013 c’est le Master d’Arts-plastiques (Option Esthétique et histoire des Arts-plastiques), toujours à Paris VIII, qu’il décroche. Apprendre toujours lui importe. Recevoir et donner.
Critiques du roman Frédérick sorti aux
Editions de Soledade.
Revue Dissonances n°27. 2015. Par Tristan Felix.
«J’ai commencé à vivre le jour où j’ai compris que j’allais mourir». La symétrie inaugurale brise à la fin son axe : «Allongé sur son lit, il cassa son ampoule de cyanure». Frédérick ne mourra donc pas ? Ellipse trop facile à tendre — «Le temps s’est suicidé , je ne l’aimais pas.» — car entre ces deux extrêmes, il y a un roman d’apprentissage étrange , à plusieurs voix, court et fragmenté, qui cherche la pureté à travers Baudelaire et Nietzsche et rejette toute autorité dominante : «La désespérance de provoquer la connaissance chez autrui poussait Frédérick à des banalités.» C’est le monde à l’envers , au sens propre. Voici un journal duel entre Coriandre, vêtue de la robe trop grande de Virginie , et son alter ego Frédérick, jeune homme des années quatre -vingts, orphelin, en marge de la société, tenté par l’homosexualité, le terrorisme, le suicide et l’art. Balloté entre Paris, la Bretagne et Nice, il concentre l’espace intérieur, tant sa «peau touche le vide». Le journal est entrecoupé de narration où «je» devient la troisième personne, la fameuse absente que l’amour, l’amitié, la politique et la littérature acculent à la solitude. Ce fasèyement identitaire ira jusqu’au «craquèlement inexorable», à l’internement en asile. «Quand une osmose se profile, il faut jeter le livre. » Qu’est-ce qu’un livre s’il ne se remet pas en question, comme son auteur et son lecteur ? La décadence de l’être a choisi ici une langue décomposée pour happer des instants d’éternité, de ceux qui font mourir, oui, mais en littérature. A bientôt d’un roman plus ample, au- delà de ses bris .
T. F.
Frédérick de Thierry Clair-Victor. Editions de Soledade. 92 p. 8 euros + 3 euros de frais de port. (Par correspondance uniquement).
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Critique de Michel Lamart paru sur Internet.
Frédérick, Thierry Clair-Victor, Éditions de Soledade, 8 euros + 3 euros de port (uniquement par correspondance ).
Une tradition bien ancrée dans le roman français du XIXème siècle consiste à intituler l'œuvre par le prénom du protagoniste: voyez Delphine (Madame de Staël, 1802) ou Marthe ( Huysmans, 1876 ) par exemple... Le roman d'apprentissage en est friand. Il déploie, en général, un arrière-plan politique qui trame le décor et les préoccupations des personnages. Ainsi Delphine renvoie à la Révolution. Tout comme Nanon ( George Sand, 1872 – laquelle récidive avec régularité depuis Valentine, 1832; Lélia, 1833; Jacques, 1834; André, 1835; Simon, 1836... ). Il semble que la période romantique ait été une période faste. Sans doute une étude systématique de cette particularité produirait-elle une réflexion féconde sur cette tendance...
La longue nouvelle de Thierry Clair-Victor répond aux trois caractérisants évoqués ci-dessus: c'est un texte d'apprentissage, son héros éponyme s'appelle Frédérick et ses préoccupations sont à la fois amoureuses, littéraires et politiques. L'action est à Paris, avant les années Mitterrand.
L'amour est l'avers de la médaille anarchisante dont se pare ce curieux héros en quête d'une identité qui se révélera dans la mort: « J'ai commencé à vivre le jour où j'ai compris que j'allais mourir », notera Frédérick en entête de son journal. » Tel est l'incipit. L'amour se décline entre figures féminines ( Coriandre, cousine de Virginie, Virginie et « les amours de complaisances » - I., D. ou Sophie ), la tentation homo ( Coriandre lui permet de vaincre « sa peur vis-à-vis de l'homosexualité » ) et le narcissisme ( il envoie à Virginie un texte d'H. F. Thiefaine qui se clôt par « Je n'ai jamais aimé que moi » ). L'amitié passe par Louis ( son tuteur car Frédérick est orphelin depuis l'âge de cinq ans ), R.C. ( un poète sans ambition par rapport à ses poèmes ), Nil qui le fascine et envisage le suicide, D. ( « il était doux... » ). L'amour au goût de bourgeoisie, c'est la mort de l'amour. Cette classe abhorrée « se vautre trop dans l'abject et le faux pour pouvoir garder une certaine pureté. » De plus, elle déteste l'amour, « génitrice ou mal baiseuse. » Pour Frédérick, « L'amour, la plénitude des jours. ».
La littérature, l'art et la philosophie surfilent le texte. La référence au code culturel crée le lien affectif ou le dissout. Le Théâtre, pour Frédérick, c'est Don Juan de Montherlant et Caligula de Camus ( mort faisant le trottoir et absurde! ). Le cinéma, c'est Fellini ( Satyricon ) et Bunuel. L'art, ce sont les cours de dessin, les expos ( Picasso ) et les cartes postales ( Van Gogh, Vlamink ), Monet aussi. La littérature est un remède « Quand Frédérick seul s'ennuyait il retournait aux livres. » On s'échange des conseils de lecture. Les mêmes écrivains reviennent. Sartre, Aragon, Baudelaire et les poètes romantiques: Nerval, Lautréamont... Nietzsche est la référence philosophique majeure. Zarathoustra est un « surlivre » pour Coriandre. La musique? Uniquement Chopin.
La politique, c'est l'extrémisme. Terrorisme et Bande à Baader. On le traite de fasciste quand il veut prendre les armes mais il n'en a pas le courage. Il a peur de l'engagement: « En décidant de tuer, il se disait qu'il répondrait au nom des libertés spoliées. » Pour Frédérick, « Accepter l'état c'est accepter la loi. » Autrement dit, la mort. Il considère que « Les pays de l'Est, avec leurs structures moins industrialisées, auraient plus de chance de réussir un véritable changement politique. » Il hait la morale chrétienne: « En Amérique du sud, la torture sous le regard de l'église. ».
Thierry Clair-Victor, né en 1960, a écrit son texte entre 1976 et 1982. Fiction de jeunesse et d'excès ? Soit ! Guère irréprochable sur le plan de la construction ? D'accord ! Mais profondément vrai dans sa désespérance. De plus, il est servi par un style étonnant de maturité, coulé dans des phrases courtes, de préférence nominales. Ce qui donne à la narration sa rapidité. On passe du récit à la troisième personne ( narrateur ) au récit à la première personne ( extraits de Journal et Correspondance ). On songe parfois à Vailland ( quoique son Frédéric est communiste et que la Révolution, pour eux, n'a pas eu lieu! ). Par l'art de la formule ( « Il est rare de trouver un interlocuteur à son Moi. » ).
À défaut, offrons à l'auteur les lecteurs qu'il mérite!
Michel Lamart
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Dessin gouache et pastel: © Framboise, Paris XXème
Journal 1999-2018, une mort annoncée de Thierry Clair-Victor
Parution en 2024 du Journal 1999-2018, une mort annoncée de Thierry Clair-Victor avec une Préface de Paul Audi et une postface d’Olivier Apert aux Editions de Soledade.
La préparation de ce journal a duré quatre ans. Pour les relectures faites bénévolement par des gens qui travaillaient et aussi au vu de l’importance du nombre de pages de ce texte.
Préface
Avant de lire le Journal de Thierry Clair-Victor, je n’avais pas encore songé aux relations qui rattachent cette forme intime d’écriture à l’amitié. Ces relations sont pourtant fort étroites, et assez évidentes. Non seulement, quand il s’attache à dérouler le plus régulièrement possible le fil d’une existence devenue trame de notation, voire de narration, un journal ne peut pas ne pas faire état des amis de son auteur, de ses rencontres et de ses échanges avec eux tels qu’ils émaillent son quotidien, mais il est lui-même, en tant qu’aire d’écriture, le lieu où un diariste s’éprend d’amitié pour lui-même, où il prend plaisir à rester en sa propre compagnie, où il réfléchit aux conseils qu’il pourrait se donner, où il pèse le pour et le contre des attentions qu’il accorde à soi comme à autrui ; où il lui arrive aussi de s’en prendre à soi-même, tout en tablant sur la familiarité qu’il éprouve quant à son ipséité, autant que sur l’indulgence dont il espère pouvoir entourer le diagnostic, sans cesse révisé, qu’il établit au regard de sa destinée.
Il se trouve que je suis un ami de Thierry Clair-Victor et que j’apparais dans ces pages de temps à autre, là où, en voyeur invisible, en intrus dans la vie de cet autre qui m’est si cher, je me surprends à découvrir les phrases que lui inspire l’affection qu’il me porte et qu’il sait que je lui porte. Mais ici, et je l’en remercie, je n’aurai affaire à aucune porte dérobée, à nul miroir sans tain ni à quelque trou de serrure, qui auraient froissé ma délicatesse ; je ne serai pas non plus l’otage de quelque indiscrétion malintentionnée. Thierry-Clair Victor n’écrit pas pour, du tréfonds de son impuissance présumée, régler ses comptes avec le monde qui l’entoure ; il est bien plutôt ce passant qui passe en se faisant un point d’honneur de dire bonjour à tout ce qui lui arrive, même si l’envie parfois lui manque. Ici, je n’aurai donc pas, et c’est heureux, à entendre la faconde des jugements de tous ceux qui croient qu’ils ont, comme s’ils l’avaient de naissance, le droit d’en asséner. C’est que Thierry Clair-Victor est d’une civilité extrême, et son écriture a la clarté de son nom et la pudeur de sa personnalité. Une écriture qui a le même timbre métallique que sa voix. Mais qui l’est, métallique, parce que c’est ce que requiert le stylet qui s’emploie à tirer des lignes sur la chair abrupte du quotidien au seul nom de son amour de la littérature. Aussi est-ce sans exhibitionnisme ni lyrisme aucun, est-ce en étant dépourvu de toute complaisance narcissique, est-ce en s’approchant même autant que faire se peut de la froideur d’un rapport de greffier de justice, qu’est relaté le déroulement des faits du jour que leur protagoniste croit bon de relever. Une écriture qui se veut donc aussi sobre que la vie notée. Mais justement telle est la vie de Thierry Clair-Victor qu’elle est belle de sa sobriété même. C’est une vie sans éclat ostentatoire – mais lumineuse de ce fait même. Une vie pleine d’exigences dictées à soi, placée sous le sceau d’une moralité farouche, inflexible, ce qui – a-t-on même besoin de le préciser – est loin de jurer avec sa profession de foi anarchiste. Une vie d’animal solitaire – mais pas loup pour un sou –, quand bien même un solitaire qui ne s’abîmerait pas dans la haine de soi et dont la passion est l’art sous toutes ses formes ne serait jamais aussi seul qu’on serait tenté de le penser, s’il est vrai qu’il passe son temps à prendre de ses propres nouvelles dans les œuvres qu’il admire. Une vie de solitaire dans laquelle l’amour et l’amitié, le travail et les relations familiales n’en ont pas moins toute leur place.
Serait-ce que le poids de la facticité du réel s’allègerait du fait même qu’on la passerait par le tamis des mots et des souvenirs immédiats ? Sans doute faut-il compter sur l’effet de décantation propre à la chronique intime : car celle-ci ne manque jamais d’opérer des trouées dans l’épaisseur des événements, ce qui permet à un auteur de journal de mieux respirer. Mais surtout, comme le prouve nettement l’œuvre de Thierry Clair-Victor, les annotations régulières, très loin de favoriser le désir égocentrique de s’ériger en héros de son existence, ont pour conséquence de satisfaire au besoin de ne pas démériter de soi après que l’on s’est fait un devoir de se regarder lucidement dans la glace. Et cependant, dans le cas de ce journal dont la facture est si unique, l’auteur ne s’abandonne jamais au pli de la macération psychologique, de l’introspection maladive. Je suis tout entier ce que je vis, je vis tout entier ce que je suis : voilà ce qui est énoncé à chaque dictée. Autant dire que les amateurs des chausse-trappes de la mauvaise foi sont priés de s’adresser ailleurs. Certes le journal intime fait de son lecteur un passager clandestin dans la vie d’un autre qui n’est pas forcément son alter ego ; il le soumet à l’aiguillon d’une curiosité qu’il lui est permis d’exercer en toute impunité. Mais dans le cas du journal qu’on va lire, tout y est placé sous le signe d’ « affections » dont la leçon serait à partager. Et c’est bien ce partage qui ravit.
Il y a, bien sûr, l’évocation des amours, avec leurs hauts et leurs bas, leurs pleins et leurs déliés, mais il y a au-dessus de ces amours l’amour des livres, des mots, des associations de sons et de sens, et le commerce avec les auteurs, dont la plupart ont passé devant le micro de Des mots, une voix sur Radio Libertaire. Il y a également, au même niveau, si j’ose dire, la peine que le monde tel qu’il va provoquer dans un cœur tourmenté de le voir se détruire autant, et aussi vite. Il y a la joie de prendre sa nièce par la main. Il y a le bonheur des cafés en terrasse, ou celui qui naît d’une exposition plaisante. Il y a les stations obligées du travail et les flâneries subséquentes ; les moments de pause, les angoisses que suscitent les difficultés matérielles du moment, les doutes quant à la viabilité du lendemain, le reproche qu’il arrive que l’on se fasse parce que l’on estime ne pas avoir une vie suffisamment exaltante. Il y a les passages à vide et les petits voyages qui redonnent le sourire, les banalités du quotidien et le vague à l’âme de celui qui désespère du présent. Il y a surtout un appétit de savoir et une curiosité dont la force déplace toutes les montagnes de l’inertie et du découragement.
J’ai parlé à l’instant du présent. Telle est peut-être, en effet, la seule question qui compte, celle dont dépendrait tout le reste. Comme s’inscrire dans son présent ? Comment raccorder ce présent à ce dont il procède comme à ce à quoi il donne lieu ? De quoi mon présent est-il fait ? Quel présent me fait-il ? Est-il cadeau ou fardeau ? Porte-t-il l’empreinte de l’époque, ou n’en prend-il pas au contraire la tangente ? En quoi est-il le mien et pas celui d’un autre ?
Par ces questions il me semble que je me rapproche de l’atmosphère secrète qui règne sur le Journal de Thierry Clair-Victor. Goûtez-en, lecteurs, le charme à votre tour.
Paul Audi.
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post-face
ou
Ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face
On se souvient des phrases finales qui clôturent Les mots de Sartre, paru en 1964, lesquelles, à juste titre, furent sinon contestées du moins disputées : « Si je range l’impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. ». On pouvait de fait douter de la sincérité de cette dernière assertion, toute d’humilité – enfin, de volonté d’humilité – et les sartriens ne laissèrent pas de s’interloquer : « comment, Sartre ! Comment, vous, pouvez-vous affirmer que n’importe qui vous vaut après tout ce que vous avez écrit, pensé ! ».
Il me plairait assez ici, en quelque sorte, de renverser les phrases de Sartre à propos du Journal de TC-V : nous aurions là, entre les mains, justement la parole d’un homme, « fait de tous les hommes », portée par le vouloir évident d’une scrupuleuse honnêteté, d’une rare fidélité : ce Journal serait alors l’expression de « n’importe qui » – de n’importe quel homme – tout en étant profondément unique, singulier. Par-là, il génère de l’attachement & de l’irritation ; de l’estime & de l’ennui : il nous parle en ami et nous donne envie d’être l’ami de son auteur.
A quelques lignes du début, le diariste constate : « je vais avoir bientôt quarante ans et je pense que j’ai acquis une certaine expérience » et l’on se demande si la lecture de Guéhenno (Journal d’un homme de 40 ans) ne l’a pas incité à s’y coller à son tour. Quoi qu’il en soit, les leitmotiv de ce journal sont posés dès le commencement : attraction-répulsion à l’égard de la mort (l’archaïque duel Eros/Thanatos), tentation du suicide, peur de la folie : on y entend Rimbaud : « j’attends de devenir un très méchant fou » ; leitmotiv qui ne le lâcheront pas, souvent amplifiés par le monde tel qu’il va mal, tel qu’il fait mal ; leitmotiv propres à l’adolescence – ce moment essentiel, noir et miraculeux – où l’on expérimente tout pour la première fois tandis qu’après : « on déchante et les objectifs changent, se rapetissent (…). Un peu une défaite qu’on cache sous prétexte de maturité », dit-il.
Or, à la lecture de ce journal, une chose demeure frappante, voire remarquable et c’est bien la fidélité à des convictions anciennes, adolescentes : autrement dit, la sensibilité de TC-V reste intacte, à vif, à l’écoute aussi. A l’écoute des autres et du monde, quitte à parfois en souffrir.
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L’apparent paradoxe de ce journal réside dans l’exposition d’un sentiment de solitude intérieure extrêmement prégnant (« je préfère la solitude à la banalité »), solitude à la fois désirée et redoutée – mais solitude n’est pas esseulement ou déréliction – & goût vital de la rencontre : la liste des invités de l’émission mensuelle Des mots une voix, que TC-V porte minutieusement sur Radio Libertaire, est impressionnante tant en nombre qu’en qualité et la faculté d’enthousiasme à l’égard de certains d’entre eux (Annie Le Brun, Hubert Haddad, Eric Jourdan, etc.) éminemment touchante, parce que portée par les trois Mages rimbaldien : « le cœur, l’âme et l’esprit » .
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Il n’est pas inintéressant de songer que la tenue d’un journal – que le Robert usuel définit comme « la relation quotidienne des événements » – est étymologiquement proche de l’activité du journalier, ouvrier agricole qui chaque jour accomplit son labeur comme le diariste couvre sa page de signes : « la main à la plume vaut la main à la charrue » (Rimbaud, encore) ! Or, l’originalité du Journal de TC-V tient au fait qu’a contrario de tous les journaux d’écrivains, ceux que je connais en tout cas, les dates n’y sont pas mentionnées : ni jour, ni mois, ni année : seulement ce bloc livré à l’état brut, encadré par deux indications temporelles : 1999-2018.
Cela n’est pas anodin, d’une part parce que la règle même implicite du journal en tant que « relation quotidienne » implique la mention précise, scrupuleuse, voire parfois obsessionnelle (jusqu’à l’heure…) du moment même de l’écriture, laquelle témoigne alors de l’état du scripteur et, d’autre part, en quelque façon, atteste de la sincérité de ce qu’il confie, de l’honnêteté de cet « examen de conscience » qu’est censé être ce confiteor supposé privé et, la plupart du temps, rendu public…
Par-là donc, ce journal-ci échappe à cette règle implicite et procure à la lecture une impression assez étrange : une sorte de suspension du temps, ou mieux encore une suspension contractée du temps. Impression d’autant plus vive que les motifs d’inquiétude existentielle sont aussi récurrents que certains « personnages » (Sonia, par exemple). 1999-2018, cela fait quand même vingt ans et l’on pourrait penser (par l’omission volontaire, j’imagine – ou la suppression – des dates) qu’il ne s’est écoulé que quelques années tout au plus, avec le sentiment d’une vie agitée, pleine, sans temps mort…
D’ailleurs, ce Journal se clôt abruptement par une remarque anodine du quotidien : en fait, il ne se clôt pas, il s’interrompt sans raison précise : ni drame soudain, ni événement décisif, ni fatigue à la tâche, ni même adresse directe violente ou affectueuse au journal faisant office de double du scripteur. Il s’arrête là tel qu’il a commencé et cela renforce l’étrange impression de hors-temps : ces deux-cents pages couvrant vingt années font métonymie : toute une vie s’y joue, s’y déroule, s’y éprouve selon la juste distance d’un témoin qui tient la gageure d’une certaine objectivité à l’égard du monde et de lui-même.
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J’ai, personnellement, lu beaucoup de journaux, selon des passions et des curiosités diverses : au hasard de la mémoire et dans le désordre : les Goncourt, pour la connaissance cancanière de la vie littéraire du XIXe siècle ; Jules Renard, son art du sarcasme ; Delacroix, pour sa réflexion picturale ; Benjamin Constant, et sa relation à Madame de Staël ; Drieu La Rochelle pour tenter de saisir ses positions éthiques et politiques ; Amiel, quand le Journal se substitue à l’œuvre ; Léon Bloy, pour sa misérable grandeur excessive ; les Memoranda de Barbey d’Aurevilly et la superbe du style, etc., etc. Autrement dit, le journal plutôt que la complaisance narcissique de l’auto-fiction tant vantée de nos jours. La lucidité y est pleine, laquelle n’exclut ni vanité ni mauvaise foi, et nous n’échapperons pas, hélas, au désormais souverain poncif de René Char : « la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil », quand bien même « ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face », La Rochefoucauld dixit.
Nous nous disons alors que le Journal de TC-V est bien celui de « tout un homme » et qu’il aurait pu aussi le sous-titrer : une résurrection quotidienne.
Olivier Apert.
Montpellier, septembre 2022
Achat des livres (Par correspondance uniquement)
Frédérick
8 euros + 3 euros de frais de port.
92 pages.
Journal 1999-2018, une mort annoncée
20 euros + 8 euros de frais de port.
382 pages.
Se renseigner par email ou téléphone
Adresse
6 Bis Rue Boyer
75020 Paris, France
Téléphone
+33 (0) 6 46 56 56 76